Aux abords de l’an 800, Byzance n’était déjà plus que l’ombre de l’Empire de Justinien, pas seulement territorialement mais aussi culturellement. Mais par rapport à l’Europe qui baignait encore dans l’instabilité du Haut Moyen-Âge, elle représentait encore une société très avancée et organisée, et l’Empire arabe en face montrait ses premiers signes de faiblesse et d’éclatement.

L’apogée de l’an 1000

Le IXè siècle commença par une reconquête de la Grèce occupée par les Slaves, mais aussi des défaites face aux Bulgares, aux Arabes, et une instabilité politique liée en partie à la querelle de l’iconoclasme. Le redressement démographique et fiscal était cependant là. Il se doubla d’une extension de l’influence religieuse par la conversion des Bulgares (par les moines Cyrille et Méthode notamment, inventeurs de l’alphabet cyrillique) puis des Serbes et des Moraves, et de nouvelles querelles de liturgie et d’influence territoriale avec Rome.

Après un siècle de guerres défensives, une reconquête laborieuse fut entamée sur le front oriental ; puis la Bulgarie, à qui Byzance paya un temps tribu, fut vaincue. La Crète notamment fut reprise et l’Anatolie libérée des incursions arabes. Le cœur de l’Empire était à nouveau en sécurité, même si la Sicile fut perdue. Aux approches de l’an 1000, l’Empire s’étendait en Arménie et Syrie, en Bulgarie sous la conduite d’empereurs exceptionnels.

Le dernier d’entre eux fut Basile II, qui après une dure guerre civile, annexa la Bulgarie, établit duchés et protectorats dans le Caucase, s’allia à une nouvelle puissance russe, Kiev, renfloua massivement les caisses de l’État.
Il mourut alors qu’il préparait la reconquête de la Sicile. Byzance était alors à nouveau la principale puissance du bassin méditerranéen, ayant atteint à nouveau ses limites « naturelles » (Balkans jusqu’au Danube, riches zones côtières de l’Anatolie, Grèce) correspondant aux zones à majorité chrétienne dans cette région.

Économie et démographie étaient en pleine expansion, mais le principal atout de Byzance était son armée et son administration, par rapport notamment au califat abasside, trop riche et étendu pour être stable. L’activité culturelle fut stimulée par la conversion des peuples balkaniques.

Cependant l’Occident lui aussi connaissait avec la société féodale une période de renouveau qui allait à long terme être fatal à Byzance.

L’époque des croisades

Les successeurs de Basile II furent bien moins capables que lui, et dilapidèrent les réserves financières. Les dernières possessions au sud de l’Italie furent prises par les Normands, et, surtout, les Turcs seldjoukides s’installèrent en Anatolie - perte terrible pour l’Empire.

Parallèlement l’influence des villes marchandes italiennes (Venise, Gênes...) grimpa en flêche, avec des comptoirs jusqu’à Constantinople, et un rôle actif dans la politique extérieure impériale. Le déclin commercial et la rancœur grecs contribuèrent fortement à détériorer les relations entre l’Empire et l’Europe occidentale. Le Grand Schisme de 1054 (excommunications réciproques du pape et du patriarche de Constantinople) n’est qu’un épisode des différences religieuses et linguistiques.

Alexis Comnène fut l’artisan de la principale tentative de redressement à la fin du XIè siècle, mais en fut réduit à appeler des mercenaires italiens à l’aide contre l’avance normande. Il mata des insurrections (Crète, Chypre) et repoussa de nouvelles avancées turques (Égée) et pétchenègues (en Thrace). Mais l’Anatolie semblait totalement perdue et l’Empire réduit à un État européen moyen.

Un tournant se produisit cependant en 1095 avec l’appel du pape Urbain II à la Croisade en Occident, malgré le schisme. Au rendez-vous de Constantinople, Alexis obtint la suzeraineté théorique sur les territoires reconquis, mais il se méfiait des Croisés, ne les aida guère, et en conséquence leur alliance demeura très précaire. De plus il ne tira pas profit des défaites turques en Anatolie.

Cette méfiance ne fit que s’accentuer, les ambitions de certains Croisés, notamment normands ou vénitiens, risquant de nuire à Byzance. Les Croisades suivantes considéreront les Byzantins plus des ennemis que comme des alliés.

Pendant tout le XIè siècle, l’Empire se trouva en guerre contre les Turcs, les Vénitiens, les Hongrois, les Serbes, les Normands de Sicile, les États croisés, et la Grèce même devint un champ de bataille.
Cependant aux abords de 1200, Byzance est encore territorialement presque intacte, les liaisons maritimes lui conservent son unité, et l’économie fonctionne bien. Administrativement et politiquement la situation est bien plus grave, la richesse de la capitale sert plus à alimenter les luttes entre clans qu’à assurer les frontières de l’Empire, et l’armée est moins efficace.

En 1204, un des prétendants au trône se fait restaurer sur le trône par les membres de la IVè Croisade en échange du paiement de leur transport par Venise ; mais le nouvel Empereur est incapable de payer et Constantinople pour la première fois depuis sa fondation, est prise par une armée étrangère, et pillée de fond en comble.

1204 : L’Empire latin, la division, la restauration

La chute de Constantinople mena à la fragmentation de l’Empire. Les Croisés nommèrent Baudouin de Flandres à la tête de l’Empire latin, réduit à une partie de la Thrace et de l’Anatolie autour de la capitale, et se partagèrent le reste (Crète et Négrepont à Venise, duchés francs en Grèce...), pendant que les divers prétendants au trône d’avant la chute fondaient leurs petits empires grecs à Nicée, Trébizonde, Thessalonique ou en Épire.

Le demi-siècle suivant se passa en guerres entre ces différentes entités, les empires grecs se refusant à s’allier pour achever les derniers fragments de l’Empire latin. Ce fut l’empire de Nicée de Michel Paléologue qui emporta la mise, prit la capitale et restaura l’Empire (Thrace, Épire, une partie de l’Anatolie, de la Grèce ; Trébizonde resta indépendant). Michel continua à défendre ses territoires, notamment contre les Francs de Charles d’Anjou installés à Naples, et finança contre eux les Vêpres siciliennes. Une tentative de réunification des Églises catholique et orthodoxe avorta.

Un siècle et demi d’agonie

Le XIVè siècle commença par des guerres contre les Serbes et Venise, puis les Turcs achevèrent leur conquête de l’Anatolie. Réduits à embaucher des mercenaires italiens ou catalans qu’ils ne pouvaient solder et qui devenaient autant de pillards, les empereurs réussirent tout de même à rétablir par la suite la situation notamment à l’ouest. Mais les guerres civiles de succession reprenaient périodiquement et à partir de 1347 la Peste Noire, en s’attaquant d’abord aux régions côtières et portuaires qui étaient tout ce qui restait de l’Empire, brisa tout espoir de revoir un jour Byzance prospérer.

Les Serbes envahirent la Thessalie et l’Épire, l’Empire se fragmenta et les puissances étrangères prirent part à de nouvelles guerres civiles. Peu après les Turcs ottomans passèrent en Europe, en quelques années écrasèrent les Serbes et s’imposèrent dans les Balkans. Constantinople se retrouva encerclé.

À l’orée du XIVè siècle, l’Empire byzantin n’était plus constitué que de sa capitale, de quelques ports comme Thessalonique et d’une partie du Péloponnèse. Le premier siège ottoman fut longtemps soutenu grâce à l’aide des villes italiennes. L’empereur Manuel II Paléologue fit un tour d’Europe des capitales pour appeler à l’aide, ne récoltant que de la sympathie.

En 1402 le conquérant mongol Tamerlan écrasa les Turcs, et Constantinople fut sauvée pour quelques années. Un nouveau siège eut lieu en 1421, qui échoua, mais Thessalonique fut perdu. En 1444 une croisade fut lancée par le pape, parallèlement à des préparatifs pour une réunification des Églises, mais les Turcs l’écrasèrent.

Constantinople tomba en 1453 aux mains du sultan Mehmed II, dont l’armée disposait de canons. L’Empereur tué, les dignitaires exécutés, Constantinople devint Istanbul, capitale de l’Empire ottoman. Les Ottomans maintinrent l’Église orthodoxe, évitant évidemment qu’elle ne se rapproche de Rome.

Sept ans plus tard disparaissait le petit empire de Trébizonde, dernier vestige de l’empire grec. Toutes les terres de l’ancien Empire byzantin restèrent ottomanes jusqu’à l’indépendance grecque en 1830.

Conclusion

L’empire d’Orient survécut quasiment un millénaire à celui d’Occident. Issu des régions les plus riches de l’Empire romain, fort d’une administration, d’une armée, d’une civilisation très en avance sur ses voisins, il sut maintenir ses ennemis à distance sur ses nombreuses frontières et reconquérir au VIè siècle une part notable de l’empire d’Occident.

On peut se demander ce qui se serait passé sans la peste de l’époque justinienne, qui cassa cet élan. Cependant, les pires pertes territoriales eurent lieu sous la pression musulmane. La seconde apogée sous Basile II démontrait que cet empire plus ramassé et plus homogène, très civilisé, pouvait avoir encore un bel avenir. Même l’éclatement après la chute de 1204 ne fut pas fatal à la culture byzantine et, mieux gouverné, mieux soutenu, cette civilisation aurait peut-être pu résister aux Turcs et participer à la Renaissance.

Économiquement l’Empire fut en général florissant grâce à ses riches provinces et à une position commerciale idéale ; cependant il échoua à cause de plusieurs facteurs :

  • l’incapacité des classes politiques et dirigeantes à maintenir à bien des époques un système stable, provoquant ainsi d’innombrables guerres civiles et d’affrontements pour le trône, souvent aux pires moments possibles ;
  • le rôle prépondérant joué par la religion et les querelles théologiques (monophysisme, iconoclasme, Grand Schisme...), qui divisa souvent l’Empire, lui coûta une énergie précieuse, et rendit très problématiques ses relations avec l’Occident ;
  • le développement (après bien des siècles tout de même !) de l’Europe occidentale qui lui soutira la prépondérance commerciale en Méditerranée (Venise, Gênes...) voire l’attaqua directement (Normands, IVè Croisade) ;
  • des épidémies qui tombèrent fort mal, comme la peste de l’époque justinienne, ou la Peste Noire.

Cet Empire n’était pas un État-nation, mais il était d’abord grec, et la Grèce en est issue. Il féconda également la Renaissance italienne lors de l’émigration d’érudits après la chute de la capitale.
De plus, l’héritage de Byzance est présent dans l’Église orthodoxe, à laquelle la culture byzantine s’était toujours identifiée, et la Russie notamment se considéra comme l’héritière directe de l’Empire (« Troisième Rome ») ; mais toute l’Europe de l’Est a subi à un degré ou un autre l’influence de l’Empire d’Orient.